Alors que la France s’était engagée à devenir un champion de l’hydrogène propre, la filière est aujourd’hui à la croisée des chemins. Entre tensions industrielles, stratégies de prédation et désengagement progressif de certains acteurs, la transition énergétique par l’hydrogène léger, et les ambitions post jeux Olympiques, notamment pour les taxis, semble de plus en plus compromises, surtout pour nos collègues taxis qui ont fait le choix de l'hydrogène, et dont nous saluons l'engagement.
Quand rouler à l’hydrogène devient un parcours du combattant
À Massignieu-de-Rives, en Savoie, Michel Cavigioli et son épouse vivent une situation de blocage. Chauffeurs de taxi depuis plus de 4 ans, ils ont investi dans deux Hyundai Nexo à hydrogène. Leurs véhicules cumulent aujourd’hui plus de 600 000 km. Leur choix, initialement motivé par les performances du Nexo (jusqu’à 724 km d’autonomie et une recharge en moins de 10 minutes), se heurte à une impasse dramatique : depuis le 7 mai 2025, l’entreprise est à l’arrêt.
Pire encore, leur second Nexo est immobilisé depuis janvier 2024. En cause : un diagnostic de pile à combustible hors service, que le couple conteste faute d’expertise sérieuse. Le véhicule gît à l’abandon dans une concession Hyundai, sans aucune prise en charge technique du constructeur. Pendant ce temps, Michel Cavigioli continue de payer 1 078 € chaque mois pour un véhicule inutilisable depuis 15 mois.
« C’est devenu financièrement très compliqué », confie-t-il. Il fait même le parallèle avec la situation parisienne : « Les taxis Hype rencontrent les mêmes difficultés. Ce n’est pas très bon pour la filière hydrogène en France. »
Pour autant, il ne renie pas son choix. Mais avec le recul, il alerte : « Je le referais, mais à condition d’avoir un véhicule de remplacement et la garantie de pouvoir me recharger à moins de 30 km. Pas comme aujourd’hui, où je dois faire parfois 160 km pour faire le plein. »
Même à Paris, la recharge à l’hydrogène reste un casse-tête

Station Hysetco de Roissy CDG en décembre 2024
Malgré les 9 stations exploitées par Hysetco en Île-de-France, les chauffeurs parisiens ne sont pas à l’abri des galères. En cas de maintenance ou de saturation, il faut parfois parcourir jusqu’à 30 km pour trouver une station disponible, situation qu’aurait éspérée le couple savoyard, mais un détour tout aussi pénalisant dans les embouteillages franciliens, surtout pour les indépendants parisiens, contraints par 11 heures de travail autorisé par jour et des charges fixes élevées.
Un chauffeur raconte notamment les scènes de stress vécues en décembre 2024 : « des files d’attente de 4 heures, notamment à Roissy CDG, où des chauffeurs hydrogène attendaient désespérément pendant que leurs collègues en thermique ou électrique faisaient plusieurs courses ».
Une réalité bien éloignée de l’image de « mobilité fluide » vantée par les promoteurs de la filière.
L'avis de la CFTC Taxis
La CFTC Taxis tient à saluer l’engagement de nos collègues taxi qui, depuis plusieurs années, ont porté à bout de bras le déploiement de la mobilité hydrogène. En première ligne, ils ont cru à cette solution d’avenir, y ont investi leur énergie, leur temps, et souvent leurs économies, pour démontrer qu’une mobilité propre, efficace et compatible avec les exigences du terrain était possible.
Mais aujourd’hui, alors que la filière montre ses limites, les chauffeurs sont les premiers à en payer le prix. Entre stations indisponibles, délais d’attente inacceptables, ou encore véhicules immobilisés pendant des mois sans solution de remplacement, les conditions de travail de ces professionnels se sont fortement dégradées. La promesse d’une recharge rapide s’est parfois transformée en parcours du combattant. Pendant ce temps, les charges courent, et les heures perdues ne sont pas compensées.
La CFTC estime que ces chauffeurs, pionniers de la transition, méritent d’être considérés avec respect et reconnaissance, par leurs employeurs comme par les opérateurs d’infrastructures. On ne peut pas promouvoir une technologie en laissant le dernier maillon de la chaîne, le chauffeur, subir les errements d’un écosystème encore immature. Dans un métier déjà exigeant, il faut assurer des conditions de travail dignes, stables et à la hauteur des efforts consentis.
La transition écologique ne peut être durable si elle se construit sur la précarité de celles et ceux qui la rendent possible chaque jour sur le terrain.